Au cours des dernières années, durant mes déplacements en Haïti, à pied, en voiture, en tap-tap, en mototaxi et en avion, j’ai pu observer le manque évident de couvert forestier sur les coteaux. Il n’est pas étonnant que chaque année les pluies provoquent des inondations dans les basses terres, entraînant des pertes de vies humaines, la destruction de maisons et de cultures. Mais ces tragédies sont aggravées car, en l’absence de couvert forestier, les coteaux sont incapables d’absorber les précieuses précipitations indispensables pour recharger les aquifères qui soutiennent l’agriculture, le tourisme et les collectivités. Ces précipitations se déversent alors à torrents vers la mer et, avec elles, d’innombrables tonnes de précieuse terre végétale sont emportées, disparaissant à jamais des collines, ce qui réduit la productivité et la stabilité financière des agriculteurs. Une fois dans la mer, cette terre devient un sédiment qui empêche la lumière du soleil d’atteindre les herbiers marins et les coraux, les étouffant et les tuant, ce qui entraîne une réduction de leur capacité à fournir aux milliers de poissons qui en dépendent le milieu dont ils ont besoin pour survivre, dans ces eaux déjà et de plus en plus inhospitalières pour la vie marine en raison des effets du réchauffement climatique.
La perte de couvert forestier est une crise en cascade qui se poursuit et qui constitue un obstacle au déve-loppement en Haïti.
La restauration du couvert forestier d’Haïti dans les bassins versants de montagne partout au pays est vraisemblablement le moyen le plus rapide et le moins coûteux d’atténuer les catastrophes naturelles, de lui permettre de s’adapter aux changements climatiques et d’assurer la viabilité et la productivité à long terme de son agriculture et de sa pêche.
L’ampleur de la crise risque d’être sous-estimée en raison, en partie, de la façon dont la forêt est définie. Selon la définition largement utilisée de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les forêts sont des terres ayant un couvert arboré de plus de 10 %. Or, selon ce critère, une zone pourrait être grandement déboisée et être encore définie comme une forêt. Sur le plan de la viabilité d’un écosystème forestier, il faudrait envisager au moins 60 % ou plus de couvert forestier en fonction du type de forêt. En outre, les analyses de couvert forestier ont tendance à être fondées sur des images satellites et, bien que les données satellitaires soient efficaces pour détecter la présence de ma-tière verte (les feuilles), elles sont beaucoup moins efficaces lorsqu’il s’agit de déterminer si cette matière verte est constituée de plantes herbacées, de petits arbustes et d’arbres pionniers ou de forêts de peuple-ment mûr.
Une analyse récente (2016) du GeoCenter de l’agence américaine pour le développement international (USAID) a permis de produire une image utile des forêts d’Haïti (voir la figure 1).
Cependant, il est important de reconnaître que cette analyse ne fait pas de distinction entre l’agroforesterie, qui comprend des plantations, des espèces exotiques et envahissantes, et les forêts haïtiennes indigènes.
Sur le plan de la biodiversité forestière, la situation est encore plus grave. Les écosystèmes forestiers restants d’Haïti, à l’exception des mangroves, ne subsistent plus qu’au Massif de la Hotte dans le sud-ouest et, dans une moindre mesure, au Massif de la Selle dans le sud-est.
En dehors de ces derniers refuges d’habitats de forêts indigènes, le couvert forestier est tellement dispersé et fragmenté que les forêts ne peuvent plus fournir les services écosystémiques forestiers de base, notamment :
- la stabilisation des pentes et la conservation des sols;
- un habitat faunique;
- la régulation du cycle hydrologique;
- la séquestration du carbone;
- des produits du bois et des produits forestiers non ligneux;
- des loisirs et une valeur culturelle.
Des parties du Massif de la Hotte et du Massif de la Selle sur la côte sud sont des exceptions puisqu’elles comportent encore des zones importantes de couvert forestier abritant des habitats naturels essentiels pour les espèces indigènes et certaines espèces endémiques. Toutefois, même ces zones sont soumises à une pression considérable en raison de la progression des frontières agricoles.
Nous devons consacrer du temps et des ressources pour aider Haïti à rétablir son couvert forestier naturel et sa biodiversité. Pour veiller à ce que les projets contribuent à l’atteinte de ces objectifs, les stratégies ci-après devraient être envisagées :
- établir une distinction entre les forêts indigènes (qui sont résistantes et procurent des services écosystémiques stables et durables ainsi que des habitats fauniques) et les systèmes agroforestiers (qui peuvent ne pas inclure d’espèces indigènes résistantes et qui, souvent, comportent très peu d’arbres);
- renforcer le réseau d’aires protégées;
- accroître les investissements dans des systèmes agroforestiers favorables à la biodiversité intégrant plus d’espèces d’arbres indigènes;
- investir en priorité dans les activités menées dans les zones tampons autour des aires protégées dans les bassins versants essentiels;
- offrir des incitations économiques directes aux populations locales pour les encourager à planter des arbres indigènes et à en prendre soin.
La Banque Interaméricaine de Développement intègre certaines de ces stratégies dans son projet de transfert de technologie aux agriculteurs (PTTA2). Ces stratégies permettent non seulement de réduire plus efficacement les risques de catastrophe et d’améliorer la productivité de l’agriculture et de la pêche, mais aussi de conserver la biodiversité unique et le patrimoine naturel restant d’Haïti.
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