OU BIEN, BISOUS ET HYGIÈNE AVEC NATALIE PORTMAN ET LES FUMEURS PARISIENS
C´est un matin ensoleillé dans le centre de Londres. La ville, vibrante comme toujours, se dégourdit dans la chaleur pendant que les trottoirs et les allées rugissent. Dans l’un des carrefours, près de Picadilly, nous voyons une jeune femme traverser la rue sûre d´elle-même, vérifiant le trafic du coin de l´œil: pas de danger. Dans la scène suivante, le personnage joué par Natalie Portman dans le film Closer, gît inconscient sur le sol, n’ayant pas aperçu la voiture venant à sa droite. Dans la vue aérienne suivante, nous distinguons le corps allongé de la femme et un avertissement peint à même le sol incitant à regarder vers la droite.
A Londres, de nombreux touristes sont renversés malgré la présence massive d´indications. La raison principale est que tous les habitants de ce monde n´affrontent pas de la même manière quelque chose d´apparemment aussi trivial comme traverser la rue. Autrement dit, hors des frontières de la Grande-Bretagne, dans des pays comme l’Argentine ou l’Espagne, on dirige automatiquement notre regard vers la gauche pour changer de trottoir. Mais bien sûr, derrière ces réponses automatiques, se cache une réalité bien plus complexe, surtout si nous parlons d’autre chose que traverser la rue.
Dans un autre registre, The Guardian a publié récemment que «les 4.900 employés des autorités municipales de Paris ramassent des trottoirs de la ville 350 tonnes de mégots de cigarettes chaque année, avec d’énormes coûts de nettoyage». Le problème a d´ailleurs empiré avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics, forçant les français à fumer dans la rue, hors des cafés et des bars. Cela va sans doute à l´opposé de l´image que nous avons des parisiens, perçus comme des citoyens soucieux de l’environnement.
Un travail de recherche récent en Haïti (voir la recherche Perez-Rodriguez, publication le mois prochain), révèle que 55% des 3 millions d’habitants de Port-au-Prince achètent l´eau à des fournisseurs informels, dont le type le plus courant (29%) serait une maison avec une connexion à domicile qui revend de l’eau à ses voisins. L’autre caractéristique remarquable est que chaque connexion est partagée en moyenne par deux foyers, pouvant aller dans certains cas jusqu´à sept. La recherche, qui combine un recensement des stations d´eau, une enquête aléatoire auprès des ménages ainsi que des interviews semi-structurés, a permis de connaitre mieux la desserte en eau des 45000 connexions actives de l´entreprise des eaux de Port-au-Prince. Malgré les déficits du système, il est estimé que près d´un million de personnes sont directement ou indirectement desservies.
Pendant le sondage fait auprès des ménages à Port-au-Prince, presque toutes les personnes interrogées affirment se laver les mains après être allés aux toilettes, alors que presque aucun des logements des répondants ne comptait avec les installations pour le faire. Le sondage a été réalisé à travers des interviews non structurées (voir protocole d’interview et résultats Perez-Cardosi) à 36 ménages ainsi qu´une enquête auprès des fournisseurs de services d’assainissement et d’hygiène. A la question, « pourquoi vous lavez-vous les mains? », la réponse était toujours liée à la présence dans l’environnement des germes, virus, microbes etc. Une mère du quartier de Mariani a donné une réponse typique : « nous nous lavons les mains pour éviter d’attraper des maladies en raison de germes».
Nous sommes donc confrontés à deux comportements apparemment “non-rationnels” mais qui en tout cas suivent un modèle, lequel se base sur des règles qui, bien que nous ne les comprenions pas à en ce moment, ont été construites tout au long des processus de socialisation des personnes. Dans ces cas nous concevons les règles comme moues et soumises à l’interprétation permanente des participants, non pas fixes et stables comme celles de échecs.
Le fait que ces comportements soient socialement construits par convention nous oblige à une analyse bien différente de celle d´une approche partant de l´idée de causalité. Si nous ne réfléchissons qu´à partir d´un point de vue rationnel, nous n´allons guère loin. D’une manière très simplifiée, cela serait comme si nous essayions de comprendre pourquoi nous saluons une amie argentine avec un bisou et une espagnole avec deux. Si nous voulons changer des comportements tels que le lavage des mains, les mégots des parisiens fumeurs au sol ou le nombre de baisers à donner/ recevoir dans notre pays, nous devons nous tourner vers des outils plus sophistiqués, dérivés et inspirés de différentes disciplines comme le marketing ou l’anthropologie.
Près de la rue où nous avons laissé Natalie Portman couchée à même le sol, se trouve le siège de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) auquel appartient la BCD (Behavior Centred Design), centre dédié exclusivement à l’analyse des changements de comportement. La scène de l’accident nous aidera à avoir une première approche des trois mécanismes de contrôle du comportement (automatique, motivé et exécutif) qui font partir de la théorie du changement de comportement proposé par le BCD. Tout d´abord, le contrôle du comportement automatique est le plus basique et correspond à la réaction presque instinctive de Natalie lorsqu´elle est renversée par le véhicule, en portant par exemple les mains à sa tête. Ensuite, le contrôle du comportement motivé serait celui qui mène à regarder l´un des deux côtés de la rue, contrôle qui serait lié selon les théories de l´évolution, aux problèmes tels que la recherche d´aliments ou de partenaire. Finalement, le contrôle exécutif serait celui qui permet la planification à partir d´objectifs de court ou moyen terme, comme lorsque Natalie décide le chemin à emprunter pour sa promenade dans Londres.
Tenant compte de cette typologie, de nombreuses campagnes de changement de comportement ont de ce fait mis l’accent sur le contrôle exécutif. C`est le cas du lavage des mains qui a été lié à la santé, alors que d’autres mécanismes se sont avérés plus efficaces, comme la réévaluation du comportement à travers la surprise. La campagne SuperAmma constitue d´ailleurs un excellent exemple de l´application en Inde de la théorie du changement du comportement au lavage des mains.
L´approche du changement de comportement est intégrée au projet de la BID, qui cherche à améliorer l’accès à l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène en Haïti. La LSHMT a remporté un appel d’offres pour soutenir la DINEPA dans diverses activités, telles que la desserte à partir de systèmes condominiaux d´eau potable dans les quartiers défavorisés ou encore des actions pour améliorer les habitudes d’hygiène de la population.
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